Ferrofluides

Imaginez les applications d’un liquide que l’on peut manipuler avec un champ magnétique, la photographie ci-dessous montre la beauté et la complexité des structures fluides qui peuvent être obtenues avec un liquide magnétique et un aimant. Seulement, les matériaux ferromagnétiques ont une température de fusion très élevée et supérieure à leur température de Curie ; qui est la température de transition entre un état ferromagnétique et un état paramagnétique. Pour atteindre cet état de fluide magnétique il est donc nécessaire d’utiliser une stratégie différente qui fait intervenir des petits objets magnétiques et un liquide non magnétique, ces deux constituants formant une phase homogène.

Ferrofluides

 

2. Définition d’un ferrofluide

Les ferrofluides, matériaux relativement récents, ont fait leur apparition vers 1966 (Papell, Rosensweig). Les fluides magnétiques, encore appelés ferrofluides, sont des solutions colloïdales très stables constituées de nanoparticules solides ferromagnétiques en suspension dans un liquide porteur. Par opposition, par exemple, aux suspensions magnétiques utilisées dans les embrayages qui ont la propriété de se structurer sous l’action d’un champ magnétique, un bon ferrofluide doit conserver ses propriétés de fluide en champ magnétique élevé et les particules ne doivent pas se séparer du liquide porteur. L’énergie d’agitation thermique de ces particules, de taille nanoscopique, les maintient en suspension et donne à la solution un comportement de paramagnétisme géant. La réponse magnétique d’un ferrofluide est due à l’interaction des particules magnétiques avec les molécules de solvant qui les entourent. Ces interactions sont suffisamment fortes pour que le comportement magnétique des particules se transmette à l’ensemble du liquide : celui-ci acquiert donc ainsi un comportement magnétique global et peut se déplacer et se déformer sous l’action d’un champ magnétique tout en restant monophasique.

3. Exemples de ferrofluides

Les particules magnétiques utilisées pour élaborer un ferrofluide sont de taille colloïdale; leur diamètre est typiquement compris entre 3 et 20 nm. Le matériau employé présente un magnétisme coopératif (ferrimagnétisme, par exemple) : on doit l’utiliser dans une gamme de températures inférieures à sa température de Curie, au-delà de laquelle le comportement magnétique devient un paramagnétisme individuel des spins du grain.
Le matériau le plus communément rencontré est l’oxyde de fer qui existe avec différentes stoechiométries : Fe2O3 ou Fe3O4. Il est synthétisé à partir d’ions Fe2+ ou Fe3+ en milieu basique. Ce matériau est l’un des moins chers existant et donne lieu à toute une famille de matériaux. En effet, dans les ferrites Fe3O4, on peut remplacer les cations Fe2+ par d’autres cations divalents comme Co2+, Zn2+, Mn2+ ou Ni2+. On peut ainsi ajuster le moment magnétique de la ferrite selon la propriété recherchée.
Tous les métaux ferromagnétiques peuvent également constituer des ferrofluides (Fe, Co, Ni) ainsi que leurs alliages. Le moment magnétique volumique est plus important d’un facteur 3 si l’on compare Fe3O4 et Fe. Cependant les métaux ferromagnétiques s’oxydent spontanément à l’air et sont donc très peu utilisés.

4. Propriétés magnétiques des grains

Le diamètre des particules colloïdales est inférieur à l’épaisseur nécessaire à la formation d’une paroi de Bloch, limitant dans le matériau massif deux domaines magnétiques d’orientations différentes.
En présence d’un champ magnétique extérieur de faible amplitude, on distingue deux types de grains fins : les grains ferromagnétiques et les grains superparamagnétiques. Le mode d’alignement de leur moment magnétique parallèlement au champ appliqué dépend du rapport de l’énergie d’anisotropie KV à l’énergie d’agitation thermique kT ; K est la constante d’anisotropie, qui dépend du matériau magnétique et de la forme de la particule, V le volume de la particule ; k est la constante de Boltzmann et T la température thermodynamique.

·Pour un grain ferromagnétique (KV > kT) le moment magnétique est bloqué dans une direction de facile aimantation de la matrice du grain : une rotation du moment magnétique entraîne donc, en solution, une rotation mécanique de l’ensemble de la particule.
· Au contraire, dans un grain superparamagnétique (KV < kT), l’agitation thermique l’emporte et le moment magnétique est libre de tourner par rapport à sa matrice.
· Pour une énergie donnée KV, la température de Néel est définie, comme la limite entre ces deux comportements. La nature superparamagnétique ou ferromagnétique des grains n’a pas d’influence sur les propriétés magnétiques statiques d’un liquide magnétique mais devient importante dès lors que l’on a affaire à des problèmes dynamiques ou que l’on considère une application optique qui nécessite une rotation mécanique du grain et non une simple rotation du moment magnétique.

5. Liquides porteurs

Les solvants organiques sont principalement utilisés dans les applications commerciales. Les exigences typiques sont l’inertie chimique et une bonne stabilité dans un large intervalle de température. En outre, des caractéristiques supplémentaires peuvent être requises dans des dispositifs spécifiques, par exemple :

– pour les joints, une pression de vapeur extrêmement basse et une faible viscosité
– pour les dispositifs d’amortissement, une viscosité élevée
– pour les haut-parleurs, une forte capacité thermique.

Les hydrocarbures aliphatique (CnH2n + 2) sont chimiquement inertes et peuvent être mélangés à d’autres hydrocarbures. Les composés de faibles masses moléculaires, comme le kérosène, sont fluides, mais ils sont volatils alors que, lorsque la masse moléculaire croît, la tension de vapeur diminue tandis que la viscosité augmente.
Les diesters carboxyliques possèdent des viscosités et des températures de fusion plus basses que celles des hydrocarbures de même moléculaire ; un bon exemple est le dibutylphtalate, souvent utilisé comme huile lubrifiante.
Les huiles de silicone (polyorganosiloxanes), utilisées fréquemment comme fluides hydrauliques, ont une faible pression de vapeur et une température de fusion basse.
Les polyphényléthers (ou oxydes de polyphénylène) présentent une viscosité élevée, utilisée dans les dispositifs d’amortissement.

6. Stabilisation en solvants polaires

L’eau, rarement employée dans des dispositifs techniques, est au contraire le fluide porteur biocompatible (applications médicales).
D’autres fluides magnétiques existent avec des solvants polaires, tels que les alcools de faibles masses moléculaires (méthanol, éthanol, éthylèneglycol).
Dans de tels milieux, et l’eau en est un exemple typique, la surface de la particule doit être chargée ou hydrophile. Deux principales méthodes sont utilisées.

Couche bimoléculaire hydrophile de surfactants
Après que la surface solide est devenue hydrophobe par une première couche de surfactant, il est possible de poursuivre l’adsorption d’une deuxième couche, l’affinité des chaînes entre elles facilitant la formation de cette couche bimoléculaire. La particule ainsi bisurfactée présente vers le solvant (polaire) des groupements polaires, et peut être solubilisée. Cependant, la stabilité de cette couche est sensible à des paramètres comme le pH et la concentration en sels (force ionique).

Charges superficielles dues à des ions adsorbés

Ferrofluide

Ferrofluide

La surface des oxydes ferrites adsorbe facilement des protons H+, en milieu acide. On obtient ainsi des particules chargées positivement, la valeur de la densité superficielle de charges pouvant atteindre 0,2 C/m2. La stabilité de la solution colloïdale, qui est assurée par les répulsions électrostatiques entre particules chargées de même signe, dépend fortement de la nature des contre-ions présents en solution :
· des anions très polarisants comme les ions sulfate SO42- s’adsorbent sur les protons superficiels, annulent les charges superficielles et provoquent la floculation des particules ;
· au contraire, des anions peu polarisants comme les ions nitrate NO3- ou perchlorate ClO4- , qui ne s’adsorbent pas, ne suppriment pas les répulsions électrostatiques.

De façon analogue, en milieu alcalin, la surface des particules devient négative par adsorption d’ions hydroxyde OH–. On distingue aussi des contre-ions (polarisants) floculants, comme les cations sodium Na+ ou ammonium NH4+, par opposition à des contre-ions (peu polarisants) solubilisants comme le cation tétraméthylammonium. Au voisinage du pH d’inversion des signes de la surface, compris généralement entre pH = 6 et pH = 9, les particules ne sont pas chargées et floculent. Cette zone de pH de floculation peut être modifiée, voire annulée, par adsorption spécifique de ligands comme les ions citrate, qui complexent les atomes de fer superficiels. On obtient ainsi des ferrofluides stables de pH = 4 à pH = 13, qui sont donc biocompatibles.

7. Effets macroscopiques

Les ferrofluides suivent les lignes de champ magnétiques pour minimiser leur énergie magnétique. De nombreuses applications industrielles font intervenir des ferrofluides, notamment pour les haut-parleurs (pour amortir les vibrations), les encres magnétiques (billets de 1 dollar…), les freins de camions…

Figure en « hérisson » d’un ferrofluide sur un aimant fort

8. Exemple en vidéo

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